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Abymes

Une trilogie dessinée

jeudi 7 mars 2019, par Michel Bovani

Je vais vous parler aujourd’hui de la série de bande dessinée Abymes, par Valérie Mangin, Griffo, Loïc Malnati et Denis Bajram. Je vous parlerai d’Universal War un peu plus tard, c’est-à-dire une fois que je l’aurai relue (j’ai fini de relire Abymes hier, justement). Donc Abymes est une trilogie, trois histoires distinctes dont le procédé narratif relève de la mise en abyme, ce qui justifie l’orthographe particulière du titre, puisque le mot abîme ne s’écrit « abyme » que lorsqu’il prend ce sens particulier (tout le monde suit ?). La mise en abyme qualifie l’usage d’une œuvre que l’on cite ou que l’on emboîte à travers une autre œuvre similaire. Pour prendre un exemple de portée modeste, on peut penser à l’étiquette des boîtes de vache qui rit ou de certaines bouteilles de spiritueux.

Dans le domaine de la littérature, on peut penser à Don Quichotte dont le personnage est au départ un parfait inconnu, mais qui devient quelqu’un de célèbre dans la deuxième partie de l’œuvre parce que l’auteur y relate que la première partie a eu du succès (si je n’étais pas si occupé, je mettrais quelque part un pense-bête pour me rappeler que je dois un jour entamer la lecture de Don Quichotte). On peut aussi penser au tableau Les Ménines (musée du Prado, Madrid) où le peintre Velasquez se représente en train de peindre ce même tableau…

La série Abymes se compose donc de trois histoires, indépendantes, même si l’on s’attend inévitablement à quelques interférences. Valérie Mangin a écrit les trois scénarios qui sont comme à son habitude (je ne le dirai qu’une seule fois, mais elle est vraiment une très grande scénariste) tirés au cordeau, si ce n’est qu’ici la rigueur de la construction n’apparaît qu’à la fin, à la lecture de la toute dernière planche. Sans en avoir l’absolue certitude, je pense que Denis Bajram a d’ailleurs participé à l’élaboration de ces scénarios. Il faut ajouter que la rigueur ci-dessus évoquée n’empêche pas le ressenti d’une réelle émotion. Trois histoires indépendantes donc, mais à lire impérativement de façon séquentielle et dans le bon ordre. La première histoire nous parle de la destinée d’un certain Honoré de Balzac, la seconde de celle d’un cinéaste nommé Henri-Georges Clouzot et le troisième album est l’histoire d’une fille qui projette d’entrer à cheval dans une librairie pour séduire un artiste-peintre. Là, je délire un peu, mais c’est aussi que je ne voudrais surtout pas spoiler cette histoire à tiroirs et à miroirs. Je vais dire quand même que Valérie Mangin malmène ses personnages avec un plaisir visible et gourmand, pour notre plus grand bonheur.

Si je ne veux plus trop parler de l’histoire, je peux au moins parler du dessin : ils sont trois dessinateurs, donc, et chacun dessine avec le style qu’il s’est choisi, sans aucune contrainte autre que celles qu’il a bien voulu s’imposer (du moins l’ai-je perçu ainsi). Il faut dire que d’une histoire à l’autre il n’y a ni personnage ni élément commun, à l’exception de quelques décors dont je ne dirai rien d’autre. Denis Bajram s’éloigne un peu de son style habituel, encore que les techniques doivent bien rester les mêmes.

Je me rends compte que j’ai finalement parlé assez longuement de ces livres qui ne sont pas de parution récente (2013) et que les bédéphiles connaissent très certainement. C’est que je pense que ces trois albums devraient intéresser aussi des personnes qui lisent habituellement peu de bande dessinée, voire pas du tout. Si vous êtes amateurs d’énigmes ou de puzzles, lecteurs d’Agatha Christie ou de Maurice Leblanc vous vous y retrouverez très certainement, mais surtout si vous avez aimé, lu ou relu la Vie mode d’emploi de Georges Perec, une référence en matière de puzzle, de mise en abyme et de construction contrainte, alors vraiment, ces trois livres sont pour vous !

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